Trouvé ça
Explication de vote. Ce post est long, mais sa lecture n’est pas obligatoire. Inutile de le commencer si ce n’est pas pour aller jusque au bout. Idéalement, avoir en tête mes deux articles publiés sur Contretemps à propos de la question électorale aide à la compréhension de ce que je dis ici.
Voter, ce n’est pas faire son marché en se prononçant pour le plus cool. C'est un moment de la vie politique dans laquelle on constate d'une part, et contribue à faire évoluer d'autre part, les rapports de forces.
Mélenchon ne sera pas élu : cela fait partie des choses bien acquises. Une autre chose bien acquise, c’est que sa stratégie visant à empêcher toute dynamique unitaire à gauche a été hélas couronnée de succès. Il faut vivre avec cette défaite en agissant pour qu’elle soit provisoire. S’il venait à disparaître, on pourrait écrire sur sa tombe : « Ici gît l’homme qui a donné le coup de grâce aux perspectives d’alternative à gauche ». Mais le fait est qu’aujourd’hui, par l’effet du « vote utile », il existe à son profit une modeste dynamique électorale, et qu’il représente à lui seul, en termes d’électorat, plus que tout le reste de la gauche mise bout à bout.
Quelle marge de manœuvre, donc ? La situation sera-t-elle la même selon que le second tour oppose, ce qui reste le plus probable, Macron à Le Pen, ou qu’il oppose Macron à Mélenchon – hypothèse désormais envisageable. Non, bien sûr.
Avoir au second tour un candidat de gauche, aussi catastrophique soit-il sur bien des sujets (je n’évoque pas ici les questions programmatiques ou les questions de fond, sur lesquels son discours a au fil des ans changé en mieux), et même si c'est sa stratégie qui nous a mis dans l'état lamentable où nous sommes, c'est quand même autre chose que d'avoir une fasciste. Les thèmes du débat public sont différents : et ce n'est pas pareil si il y a 15 jours de débats sur les immigrés etc., ou 15 jours sur le pouvoir d'achat, les retraites et les services publics. En outre et surtout, la situation qui s’en suivrait serait différente : ce qui apparaîtrait comme l'alternative cesserait d'être l'extrême droite. Cela ouvrirait un peu les perspectives de construction d’une alternative de gauche. Dans un cas, toute explosion sociale favoriserait la gauche, dans l'autre elle favoriserait les fascistes.
A l’issue de ce second tour, Macron sera donc réélu. On n'y peut déjà plus rien. Et Mélenchon restera un boulet aux pieds de la gauche : on n'y peut rien non plus. Mais la situation politique ne sera pas du tout la même selon que c'est la gauche qui aura été au second tour ou la droite fasciste.
Puisque, en l’état des rapports de forces entre la gauche et la droite, l’élection de Mélenchon est exclue, la marge de manœuvre dont on dispose est étroite ; et en toute hypothèse, ce qui compte est la situation qui va résulter de la réélection de Macron, et la manière dont il serait possible de construire une force d’alternative, laquelle prendra nécessairement la forme de coalitions, de fronts, de rassemblements, autrement dit de tout ce que Mélenchon s’acharne depuis dix ans à rendre impossible. Autant dire que penser à l’après, c’est penser à l’après-Mélenchon. Et même s’il a annoncé qu’il ne serait plus candidat, on peut craindre qu’il retarde au maximum son départ à la retraite. L’idéal serait pourtant qu’à l’issue de cette élection, il s’enferme dans un monastère (laïque) en faisant vœu de silence, et qu’il s’y tienne – libre à lui d’y écrire d’indigestes mémoires posthumes.
Une objection au vote Mélenchon pourrait ainsi être que meilleur sera son score, et surtout s’il parvient au second tour, plus il roulera les mécaniques, et plus sa volonté dominatrice sur la gauche, qu’il faudra combattre, sera confortée. Mais le fait est qu'il est loin devant tous les autres réunis : que sa position dominante est hélas acquise. Elle ne se joue pas à un ou deux pourcent près. Ce qui reste comme marge, c'est être au second tour ou pas. Si défaire son hégémonie sur la gauche est un impératif, il vaut mieux éviter que la peste brune nous ait ravagé avant que l’on puisse s’y atteler. La marge de manœuvre dont on dispose ne suffit pas pour qu'il cesse d'être dominant à gauche. Mais elle peut suffire pour que la gauche soit dominante dans l'opposition.
Alors oui, à l’issue de ce scrutin, il continuera à faire ce qu'il fait depuis 10 ans : nous enfoncer la tête sous l'eau, rendre impossible une reconstruction. Celles et ceux qui entendent construire une alternative crédible se trouveront devant ce défi. Mais on le relèvera mieux avec une gauche forte qu’avec une gauche défaite. Mieux avec 35 % à gauche qu’avec 45 % à l’extrême-droite au second tour. Voter Mélenchon, ce n’est ni lui donner quitus, ni lui faire confiance : c’est juste ce qu’il y a de mieux à faire en toute rationalité politique